Ce secteur plutôt friand de liquidité ne déroge en rien à cette crise devenue depuis peu de temps une « constante » économique. Des compagnies connues pour leur résilience financière à toute épreuve font profil bas. Les appareils n'ont plus côtoyé le ciel depuis que les autorités en charge de la gestion des espaces aériens dans les quatre coins du monde se sont résignées à en interdire l'accès, à la mi-mars.
Soudain, les repères changent. Le vacarme ambiant des aéroports et les interminables files d'attente au pied des scanners ont laissé place à la léthargie des guichets fermés, au grand dam des agences de voyages, dont l'activité a été soufflée par la déflagration en bout de chaîne de valeurs. Dans ce contexte d'apocalypse économique, L'Actuel a établi pour vous un état des lieux du secteur du transport public en temps du coronavirus dans les régions les plus touchées par la crise.
Tout commence, donc, à la mi-mars lorsque, pris de panique face à l'envolée subite des cas positifs au Covid-19, les gouvernements du monde entier décident de fermer boutique. A part les oiseaux, plus rien ne traversera l'espace aérien jusqu'à nouvel ordre. S'en suivent alors des annulations en cascades de voyages décidés prématurément. La question du remboursement des billets par les compagnies aériennes et les agences commerciales plante le décor : qui va payer la note finale ?
Dans un premier bilan effectué à la même période de l'année, l'Association internationale du transport aérien (IATA) a revu ses prévisions de pertes à la hausse suite à l'impact que pourrait avoir la crise du coronavirus sur le secteur aérien. Selon le présidentdirecteur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), Alexandre de Juniac, vue l’évolution du Covid-19, le secteur du transport pourrait perdre jusqu’à 252 milliards de dollars au lieu de 113 milliards de dollars prédits précédemment, soit une hausse de plus de 50%. Une situation due à l'aggravation de la pandémie causant la multiplication des restrictions dans les différents aéroports du monde. Par ailleurs, les pertes des compagnies aériennes imputables à la pandémie de coronavirus devraient s’élever à 84,3 milliards de dollars (74,6 milliards d'euros) cette année et 15,8 milliards l'année prochaine. Les revenus baisseraient à 419 milliards de dollars (-50%). Selon le journal Les Echos, 44.000 postes ont déjà été supprimés dans l'aérien.
Dans un communiqué publié quelques jours plus tard, l'IATA déclare : « Dans l’ensemble, nous estimons que l'effondrement actuel de 90% du trafic aérien met en danger environ 6,7 millions d'emplois et pourrait entraîner un impact négatif sur le PIB de 452 milliards de dollars en Europe. Cela équivaut à 1,1 million d'emplois supplémentaires et à 74 milliards de dollars de PIB par rapport aux estimations de 5,6 millions d'emplois et de 378 milliards de dollars en mars. »
En Europe
Le Vieux Continent est, comme souvent, la première zone géographique à ressentir les secousses économiques, fussent-elles provoquées loin de ses frontières. Début mars, une décision prise par l'Administration du président américain Donald Trump prend tout le monde de court : Les USA ferment leurs portes à l'Europe ! « Accusant l'Europe d'être responsable de la propagation du virus, le président américain ferme les frontières aux personnes ayant séjourné dans l'espace Schengen pendant quatorze jours ou plus. Le Royaume-Uni, qui n'en fait pas partie, n'est pas concerné », rapporte l'AFP.
C'est à ce moment précis que les inquiétudes exprimées par l'IATA captent l'attention des professionnels du secteur. L'on parle alors de « package » de sauvetage qui consiste à injecter de l'argent frais dans le capital des compagnies déficitaires. Mais les tergiversations des pouvoirs publics prennent le pas sur le débat économique. Fin avril, il est déjà trop tard : British Airways prévoit de supprimer 12.000 emplois, soit près d'un tiers de ses effectifs.
En France, alors que l'activité d'Air France ne représente « plus que 2 à 3% du programme normal d'un mois d'avril », le gouvernement a promis à la compagnie 4 milliards de prêts bancaires garantis par l'Etat et 3 milliards de prêts directs. Chez le voisin allemand, et alors qu'elle vient de bénéficier d'un plan de sauvetage de 20 milliards d'euros, la prestigieuse Lufthansa envisageait dernièrement de supprimer quelque 22.000 emplois dans le monde, soit près d'un poste sur cinq.
Les plus importants impacts en Europe
France : 80 millions de passagers en moins, ce qui entraîne une perte de revenus de 14,3 milliards de dollars, représentant un risque pour 392.500 emplois et une contribution de 35,2 milliards de dollars à l'économie française.
Suisse : 28 millions de passagers en moins, ce qui entraîne une perte de revenus de 5,2 milliards de dollars, ce qui représente un risque pour 110.000 emplois et une contribution de 14,72 milliards de dollars à l'économie suisse.
Royaume-Uni : 140 millions de passagers en moins, entraînant une perte de revenus de 26,1 milliards de dollars, représentant un risque pour près de 661.200 emplois et une contribution d'environ 50,3 milliards de dollars à l'économie britannique.
Espagne : 114 millions de passagers en moins, ce qui entraîne une perte de revenus de 15,5 milliards de dollars, mettant en péril 901.300 emplois et 59,4 milliards de dollars de contribution à l'économie espagnole.
Allemagne : 103 millions de passagers en moins, ce qui entraîne une perte de revenus de 17,9 milliards de dollars, entraînant la perte de 483.600 emplois et de 34 milliards de dollars de contribution à l'économie allemande.
Italie : 83 millions de passagers en moins, ce qui entraîne une perte de revenus de 11,5 milliards de dollars, entraînant la perte de 310.400 emplois et une contribution de 21,1 milliards de dollars à l'économie italienne.
En Afrique
Dans une analyse relayée par Financial Afrik, l’Association africaine des compagnies aériennes (Afraa) fait état de 8,1 milliards de pertes à cause de la pandémie mondiale de Covid-19. Si près de 6,7 milliards de dollars étaient enregistrés comme recettes en 2019, seulement 1,7 milliard de recettes sont attendus du transport de passagers au terme de l'année 2020, soit une baisse de 5 milliards, relève l’Afraa.
L'étude, effectuée entre mi-avril et mi-mai, signale une réduction des revenus du trafic passagers de l'ordre de 14% pour le premier trimestre 2020 et de plus de 90% pour le deuxième trimestre. L'Afraa table – sous réserve d'une prochaine évaluation à paraître fin juin/début juillet – sur une reprise progressive de l'activité sur la seconde moitié de l'année : «Environ 40% du trafic réalisé au troisième trimestre 2019 devraient être assurés durant la même période, et ce taux passerait à 70% pour les derniers mois de l'année. » Selon la même source, quelque 17.620 vols (intérieurs et extérieurs) ont été annulés depuis la suspension du trafic aérien le 18 mars, exception faite des vols cargo et opérations de rapatriement.
En Algérie, la compagnie nationale aérienne Air Algérie ne tardera pas à tirer la sonnette d'alarme. Début juin, le porte-parole de la compagnie, Amine Andaloussi, a laissé entendre que le manque à gagner du transporteur public pourrait atteindre 89 milliards de dinars à la fin de l'année en cours, soit 24 milliards de dinars de plus que le niveau actuel de la trésorerie, qui s'élève à quelque 65 milliards de dinars. « On ne peut pas avancer de date pour la reprise du trafic aérien des voyageurs. La décision d'ouvrir l'espace aérien est une prérogative du président de la République. Cependant, même si on décide de reprendre cette activité, on va le faire à hauteur de 30% de notre programme habituel, et on ne peut pas excéder les 40% d'ici à la fin 2020 », a-t-il déclaré.
Au Maroc et en Tunisie, la situation n’est guère reluisante. La Royal Air Maroc est plus touchée avec 1,6 milliard de dollars de pertes suivant le ratio manque à gagner sur sièges. L'on parle d'un vrai risque de faillite pour l'une des meilleures compagnies africaines. De son côté, Tunisair s'en sort un peu mieux en raison de la taille réduite de sa flotte, avec seulement 500 millions de dollars de déficit. La compagnie ayant sollicité l'Etat tunisien pour une aide de 35 millions de dollars afin de faire face à ses difficultés financières.
D'autres entreprises plus vulnérables risquent gros, elles aussi, à l'image des compagnies du Niger, de l'Afrique du Sud, du Kenya et de l'Ethiopie qui devront s'appuyer sur d'éventuelles aides afin de pouvoir redéployer leurs ailes. Pour Abderrahmane Berthé, secrétaire général de l’Afraa, « si les compagnies ne reçoivent pas d'aide, elles risquent de se retrouver en situation d'insolvabilité à la fin juin. Le responsable a estimé que 2,5 à 3 milliards de dollars seront nécessaires, à travers des aides financières ou des allègements de taxes et charges pour permettre aux compagnies aériennes de reprendre les airs. »
En Amérique du Nord
Avec moins de 100.000 passagers enregistrés par la TSA (Transportation Security Administration) en début avril aux Etats-Unis, Air-Journal titrait : « Covid-19 : le trafic aérien aux USA recule de 70 ans. » Personne n’osera alors parler d’exagération, compte tenu de l'ampleur de la gravité de la crise sanitaire vécue par les USA.
A titre d'exemple, United Airlines estimait à l'époque perdre 100 millions de dollars par jour, sa rivale Delta Air Lines citant le chiffre de 60 millions par jour. Les transporteurs du pays ont demandé une aide fédérale de 50 milliards de dollars afin de payer leurs employés et éviter les licenciements d'ici la fin septembre. Le gouvernement américain finira par mettre à la disposition des compagnies américaines un fonds de près de 25 milliards de dollars.
Sauf qu'outre Atlantique, il ne s'agit pas que d'argent. Chez American Airlines, cent hôtesses de l'air et stewards ont été testés positifs (un est mort le 23 mars à Philadelphie), tandis que chez les pilotes, 47 ont été testés positifs, d'après le syndicat de PNC Association of Professional Flight Attendants. Les compagnies ont réclamé pour les navigants les mêmes équipements de protection personnelle que ceux attribués aux pompiers, ambulanciers et autres employés des services d’urgence.
Quant à Air Canada, c'est carrément la moitié des salariés que l'entreprise prévoit de mettre à la porte, soit au moins 20.000 personnes sur ses 38.000 salariés. Le 4 mai déjà, Air Canada avait rendu publics des chiffres qui illustrent les fortes turbulences qui secouent le transporteur : des pertes de plus d'un milliard de dollars au premier trimestre de 2020, 22 millions de dollars de liquidités utilisés chaque jour en mars et 20 millions en avril.