Cependant, et en concomitance avec le mois sacré de Ramadhan, l’habitude que les Algériens ont pris avec les augmentations inexpliquées des prix des fruits et légumes s’est vue cette année décupler avec celle d’autres aliments. L’exemple le plus connu cette année, et qui aura défrayé la chronique, est, bien sûr, celui de l’huile qui non seulement avait disparu des étalages, mais était vendue à des prix exorbitants.
L’autre exemple qui aura marqué ce début de Ramadhan n’est autre que le prix de la pomme de terre qui a atteint des niveaux records. Le kilo se vendait pendant une dizaine de jours à 100 DA, avant que les services du ministère de l’Agriculture ne décident d’intervenir en renflouant le marché avec de la pomme de terre de stockage, avec pour impact, une légère baisse des prix, mais toujours sans effet notable, puisque ces derniers restent inexpliqués au vu de la conjoncture.
Les raisons d’une flambée des prix inexpliquée
Selon les détenteurs des dossiers au niveau des ministères de l’Agriculture et du Commerce, cette hausse des prix s’explique par la cherté des produits et matières premières au niveau international, ainsi que les coûts de la logistique, en plus de la perte de valeur du dinar algérien, en parallèle.
Quant aux commerçants de gros et de détail, ils expliquent les augmentations des prix des aliments durant le mois sacré par le comportement irrationnel des consommateurs qui, à chaque année particulièrement à cette occasion, versent dans la surconsommation, multipliant par trois le volume de consommation. Ils donnent pour preuve la quantité importante de déchets en pain et en légumes avariés, signe de gaspillage et d’excès. Si ces motifs expliquent, en partie, les augmentations de prix dans une certaine mesure, du fait que les lois du marché prédominent dans leur définition et que les consommateurs sont vraiment appelés à plus de rationalité dans leur comportement, ils n’expliquent pas du tout la variation importante des prix par rapport à un timing particulier.
En effet, les augmentations ont intervenu bien avant le mois de Ramadhan d’un mois au moins, alors que le niveau de consommation ne connaît, à ce moment-là, aucune variation dans le sens de l’augmentation, particulièrement pour les légumes et fruits. Aussi, les prix des bourses des aliments importés à l’international connaissent des baisses de prix parfois importantes, alors que le sens des prix au niveau local chez nous ne va que dans un seul sens, celui de la hausse.
Il y a aussi le fait que les aliments qui sont produits localement ne sont pas soumis aux lois des marchés internationaux, et donc à l’abri des péripéties des pertes de change issues de la baisse de la valeur du dinar. Donc, tous ces faits font tomber les explications des uns et des autres, du fait de l’incompatibilité criante qui y apparaît. Alors quelles explications peuvent s’accorder pour compléter le tableau ? En fait, il n’y a d’autre explication que le fait que le marché des aliments soit parfaitement bien huilé pour subir un contrôle de la part des commerçants eux-mêmes, mais lesquels ? Dans le sillage de la crise de pomme de terre, l’on s’étonne de lire que la récolte de la pomme de terre connaît des entraves « programmées et préméditées » au niveau de plusieurs wilayas, avec des pratiques pour le moins malignes de la part de certains intermédiaires qui préfèrent conserver ces légumes sous terre, en connivence avec des mandataires, afin de maintenir les prix à des niveaux élevés le plus longtemps possible.
Cela a été le cas d’une façon accentuée suite aux déclarations du ministre de l’Agriculture qui assurait la mise sur le marché des produits stockés, avec, en prime, une pression exercée sur certains agriculteurs pour créer la rupture sur les marchés de gros et les stocks étatiques. Le cas est le même pour d’autres produits agricoles qui connaissent les mêmes manoeuvres de la part de ces intermédiaires qui ont l’air de se constituer sous forme de lobbies de l’agriculture, qui contrôlent le marché et les prix à la consommation.
Réalité ou fiction ?
Afin de distinguer la réalité de la fiction dans ces histoires racontées sous forme de légendes urbaines, la question peut être posée à deux niveaux : celui des agriculteurs qui produisent et sont tout à fait en amont du processus, et celui des commerçants détaillants qui sont en relation directe avec les consommateurs. Au niveau des agriculteurs, toutes les déclarations sont les mêmes : les prix de vente sont bien en deçà de ceux pratiqués au niveau des commerces et des marchés de détail. Affirmation étayée par les rares consommateurs qui achètent leurs besoins en légumes et fruits discrètement auprès de ces agriculteurs. La proportion est d’un tiers à un cinquième du prix de vente au détail. Ce qui peut pousser à éliminer la piste des agriculteurs. Quant aux commerçants détaillants, au vu de leur situation régulière en matière de registre de commerce et de codification d’imposition, ce qui les met à découvert et au-devant de la scène aux yeux de tous les opérateurs et consommateurs, il y a fort à croire que les marges prises pour la vente à leur niveau est insuffisante pour justifier la flambée des prix.
Certains même consentent à montrer leurs bons d’achats pour justifier leurs prix et marge. En fait, tout le jeu se joue au niveau des cercles intermédiaires, jusqu’à la vente en gros. Contrairement à ce qui peut être conçu par la croyance générale, le jeu se situe avant la vente en gros car, à l’identique de la vente au détail, le marché de gros est un marché organisé et surveillé qui n’échappe pas aux inspections périodiques des services de contrôle de la qualité et des prix.
Lorsqu’il est question de parler des cercles en amont des grossistes, ce sont les innombrables intermédiaires et mandataires qui achètent presque la totalité des récoltes pour qu’elles entrent dans un cycle de revente entre intermédiaires avant d’atterrir au niveau des marchands de gros. Jusqu’ici, le nombre de fois de reventes ou les marges par vendeur ne sont pas connus. Ce qui est certain, par contre, c’est que les vendeurs de gros consentent à acheter auprès de ces revendeurs, au lieu de s’approvisionner chez les agriculteurs, du fait de l’économie d’effort et de déplacement.
Quelles solutions ?
Il n’existe pas de solution autre que celle de la réglementation de ce marché et de ce réseau. Plusieurs tentatives de la part des autorités pour imposer des pratiques qui garantissent la traçabilité des transactions, à l’instar des facturations ou des paiements conventionnels, ont toutes été couronnées de cuisants échecs. Les raisons sont simples à saisir : les intermédiaires tiennent leur pouvoir du fait qu’ils activent totalement dans l’informel, sous de faux noms, de faux registres, voire en l’absence de ces éléments. Ni le nombre d’intermédiaires ni leur identité ne sont connus. Quant à l’intervention des autorités, il faut dire aussi que celles-ci accusent une défaillance quant au contrôle et à la répression dans ce domaine précis, et des questions se posent à ce niveau. Si contrôle il y a, il ne se fait qu’à la suite de dénonciations ou de dépôts de plaintes, ou bien pour calmer une opinion publique sur le grill, du fait d’augmentations intempestives des prix. Si aujourd’hui la question se pose sur une réelle volonté politique pour éradiquer ou à défaut diminuer au minimum ces pratiques frauduleuses, car si cette volonté n’existe pas, ce ne sont pas les contrôles et le renforcement des brigades qui stopperont ce phénomène.
De réelles stratégies sont à mettre en place pour limiter le nombre de transactions entre le producteur et le consommateur final, basées sur des mécanismes et non pas des mesures isolées par marché ou par produit. Les ventes devraient être interdites hors du cadre des marchés réguliers et connus, où l’accès ne serait permis qu’aux détenteurs de cartes professionnelles et de registres de commerce. Les contrôles sont aussi à renforcer au niveau des routes afin d’intercepter toute marchandise sans facture, portant des mentions légales relatives aux marchands. Tout un panel de mesures à mettre en place pour une lutte contre des pratiques qui, aujourd’hui, pèsent lourd sur le dos des citoyens, et qui mettent le feu dans les économies de ceux-ci.