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Tanguy Leriche, nouveau DG de Jumia Algérie : “ Notre concurrent c’est la non-consommation ! ”

Tanguy Leriche, nouveau DG de Jumia Algérie : “ Notre concurrent c’est la non-consommation ! ”

Rédigé par Kheireddine Batache / Entretien / mercredi, 29 juillet 2020 08:58

Depuis son arrivée sur le marché algérien en 2012, Jumia ambitionne de devenir l’acteur de référence du e-commerce en Algérie. Dans un secteur en pleine mutation, la Marketplace africaine joue pleinement la carte de l’innovation et mise sur l’excellent taux de pénétration internet (86,25% en 2018) au niveau national. En interne, la start-up a enregistré cette année l’arrivée d’un nouveau capitaine à son bord. Suite au départ de l’ancien directeur général, Elyes Jeribi, c’est donc Tanguy Leriche qui a pris les commandes du navire Jumia Algérie. Pour imprimer sa marque, le jeune patron fait cap sur le développement. Entretien exclusif !

L’ACTUEL : Pouvez-vous nous faire une présentation succincte de votre parcours ?

Tanguy Leriche : J’ai rejoint Jumia à ce poste en février 2020. Initialement, j’ai fait toute ma carrière chez Lafarge-Holcim, autrement dit une industrie complètement différente, chez qui je suis passé par différents postes à la stratégie, à l’audit interne et au marketing. J’ai une expérience internationale avec quatre ans en Chine, trois en France (Paris) et cinq en Algérie. S’agissant de ma formation académique, je suis titulaire d’un diplôme d’ingénieur et d’un master en commerce à l’ESSEC.

Le lancement de Jumia Algérie a été en quelque sorte le « kick-off » de l’ère du e-commerce dans le pays ; comment évaluez-vous ce secteur chez nous ?

Il faut savoir que le secteur du e-commerce est en pleine mutation. Initialement, nous étions axés sur des produits à forte valeur ajoutée, tels que l’électroménager ou l’électronique, pour une population très connectée (59%) et relativement jeune et urbaine. Qui plus est, environ 23 millions de personnes ont un compte Facebook. C’est, donc, sur cette infrastructure que notre développement s’est fait en Algérie.

Cependant, la crise liée à la Covid-19 que nous vivons actuellement a montré que le potentiel et la pertinence que peut avoir le e-commerce en Algérie était encore plus large. Cela concerne des produits devenus nécessaires et essentiels à la population en temps de pandémie, et qu’il a fallu acheminer jusqu’à certaines régions isolées ayant, plus ou moins, fait les frais de la rupture de la chaîne d’approvisionnement. L’e-commerce a donc joué un rôle important en permettant aux consommateurs de s’approvisionner tout en restant chez eux. Ce secteur d’activité a su adapter son modèle à la conjoncture actuelle, comme l’a fait Jumia mais aussi plusieurs de nos concurrents numériques. Chez Jumia, nous avons travaillé avec nos partenaires et vendeurs à promouvoir un modèle de concurrence saine en pénalisant la spéculation. Nous n’avons pas hésité à sortir de nos listes les commerçants ayant tenté de profiter de la crise pour mettre en place une tendance haussière des prix.

Pour conclure sur ce point, je dirai que ce modèle est en train de s’imposer dans le contexte actuel, même si sa marge de progression reste très large en Algérie. Le e-commerce représente presque 1% des transactions commerciales réalisées localement, au moment où la Chine affiche un taux de 20-25%. Voilà pourquoi nous inscrivons notre action future dans le cadre d’un développement rapide, notamment au niveau de nos assortiments, tel que nous l’avons fait avec de grandes marques de distribution, avec qui des partenariats ont été conclus très rapidement.

Vous atterrissez chez Jumia Algérie après 14 ans de carrière chez Lafarge-Holcim ; quels sont vos chantiers prioritaires ? Est-ce que votre nomination est synonyme de changement de stratégie chez la Marketplace ?

La vision du Groupe Jumia c’est de simplifier la vie des gens via la technologie, en leur apportant une large gamme de produits jusqu’à leur domicile.

En Algérie, nous avons trois chantiers prioritaires. Le premier concerne l’amélioration de l’expérience client, en optimisant l’efficacité de nos opérations. L’une des décisions prises dans ce sens a été de déménager dans un entrepôt plus moderne, et dont la surface est trois fois plus grande que ce que nous avions auparavant. Ceci nous permet, également, d’accompagner notre croissance par un meilleur rendement de nos vendeurs. Nous avons aussi développé une version arabophone, qui n’était pas disponible. Cette démarche nous a de facto permis d’améliorer notre positionnement sur le marché en touchant de manière directe et plus simple une population plus importante. Nous y avons, certes, consenti un investissement en matière d’outils de travail, mais il s’agissait avant tout de pouvoir s’adresser à tout le monde.

La deuxième partie de mon plan de travail est consacrée à l’assortiment des produits que nous proposons sur notre site, car il est primordial que celui-ci soit le plus large possible, que ce soit sur la partie des produits essentiels ou au niveau d’autres catégories. Ce travail nous a permis de nouer des partenariats avec de nouvelles marques. Notre marge de progression dans ce domaine est encore grande.

Enfin, il y a le travail sur les prix auquel nous accordons une importance de premier ordre, car nous voulons que le e-commerce soit accessible au plus grand nombre et « démocratiser », ainsi, ce nouveau réflexe de shopping. De ce fait, Jumia avec ses partenaires vendeurs travaille à offrir à ses clients les prix les plus compétitifs sur une large sélection de produits.

Après quelques années d’activité et malgré des débuts plutôt timides, Jumia a réussi à se faire un joli nom en Algérie ; quel bilan faites-vous de cette expérience ? Comment avez-vous fait pour bousculer les habitudes de consommation de vos cibles commerciales ?

Tout d’abord, nous avons créé un environnement propre à ce secteur en investissant dans un écosystème (logistique, supports vendeurs/clients, partie commerciale et marketing) autour de notre plateforme internet. Même si elle garde son étiquette de start-up, Jumia Algérie a aujourd’hui atteint la taille d’une PME, avec pas moins de 200 employés et plusieurs centaines d’autres indirectement. Selon un rapport du cabinet BCG établi en 2019, l’e-commerce pourrait permettre la création de 5 millions d’emplois d’ici 2025 en Afrique. Cela démontre le potentiel de ce secteur.

D’autre part, il y a deux aspects sur lesquels nous avons beaucoup travaillé. En premier lieu, je citerai l’expérience vendeur qui propose un modèle opérationnel différent de celui qu’a un magasin classique. Traiter avec un magasin virtuel reste une nouveauté qu’il faut prendre le temps d’appréhender, à travers une partie « éducation » sur les façons de travailler dans le monde du digital. Ce travail nous aide à fidéliser des vendeurs qui nous accompagnent depuis sept ans. En second lieu, figure la partie « confiance avec le client ». Nous avons effectué un travail important pour l'adoption de l’e-commerce en Algérie, et faire ainsi connaître tous les avantages du commerce en ligne au plus grand nombre et s’assurer que l’expérience client soit optimale.

Par exemple, nous avons mis en place le concept de « boutique officielle » réservée aux distributeurs officiels des grandes marques, qui y ont leur shop in shop ou magasin dans le magasin, proposant un assortiment de branding spécifique, estampillé Produit officiel, à des prix usine.

Pour compléter cette démarche, nous garantissons à nos consommateurs de façon générale un délai d’une semaine pour la reprise et le remboursement d’un produit qui, pour une raison quelconque, ne convainc pas le client.

Ce sont autant d’actions qui ont pour objectif de permettre au consommateur d’effectuer un achat en toute confiance.

Enfin, tous les règlements se font en espèces lors de la livraison de la commande.

Malgré quelques projets pilotes, le grand lancement du paiement électronique tarde à se démocratiser en Algérie ; quelles en sont les conséquences sur l’activité de Jumia ? Peut-on affirmer que c’est un frein à votre développement ?

A vrai dire, ce serait davantage une opportunité manquée qu’un frein. N’oublions pas que le fait de pouvoir régler des achats en espèces et à la livraison est plutôt perçu comme rassurant par nos consommateurs. Dans un pays où tout le monde est attaché au cash, dire que le retard accusé vis-à-vis du lancement du e-paiement est un obstacle au développement du e-commerce serait un peu réducteur à mon sens. Je tiens d’ailleurs à préciser que nous avons commencé à équiper nos livreurs en TPE (Terminal de paiement électronique).

Cependant, cela n’occulte pas le fait qu’il faudra y venir rapidement, ne serait-ce que pour des questions de santé. Actuellement, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) recommande vivement le recours au paiement électronique. Il existe des pays où nous adoptons ce mode de règlement sur 100% de nos transactions commerciales.

Beaucoup d’acteurs du secteur de la distribution considèrent Jumia comme l’un de leurs principaux concurrents ; quels sont vos ingrédients pour grignoter davantage de parts de marché ?

Personnellement, je ne vois pas les choses de la manière que vous venez de décrire. J’estime au contraire que les acteurs que vous évoquez sont sur un axe de développement supplémentaire que Jumia leur permet d’avoir. Cela relève plus du partenariat que de concurrence.

Par ailleurs, notre modèle leur offre l’opportunité de toucher des régions sur lesquelles ils ne sont pas présents. D’ailleurs, nous avons l’ambition d’étendre notre réseau à 30 wilayas d’ici la fin de l’année, ce qui représente 75% de la population algérienne. A cela s’ajoutent deux paramètres qui peuvent leur être profitables : la diversification des supports de vente et de livraison et la visibilité sur la partie en ligne.

Du fait de la taille relativement réduite du marché du commerce électronique, nous ne pouvons avancer une analyse de notre environnement concurrentiel à proprement parler. Pour l’heure, il s’agit de la réticence à la consommation, plus généralement. Ce qui nous anime, c’est la création de nouveaux marchés sur lesquels nous proposons davantage d’offres commerciales sur des segments qui n’ont pas encore été touchés par le e-commerce.

Vos clients vous reprochent une certaine centralisation au niveau des régions nord du pays ; que leur répondez-vous ?

C’est une problématique que nous prenons à bras-le-corps actuellement. Nous envisageons d’étendre notre empreinte géographique rapidement, qui nous positionnera, désormais, sur 30 wilayas au lieu de 22 actuellement, L’objectif est de pénétrer deux wilayas par mois. Les soucis rencontrés jusqu’à maintenant sont d’abord d’ordre structurel, en ce sens que nous devons trouver un modèle qui n'induit pas des tarifs prohibitifs en termes de transport. Le second relève de la conjoncture actuelle liée au Covid-19, suite à l’instauration du couvre-feu dans plusieurs wilayas. Cette mesure nous a obligés à davantage de patience quant au déploiement de notre stratégie.

Mais au-delà de la crise, le e-commerce doit assumer un rôle de locomotive, en faveur du désenclavement économique de toutes les régions isolées. C’est une bataille d’avant-garde que nous devons livrer. De ce fait, la crise actuelle ne peut être qu’un catalyseur pour gagner ce défi.

Jumia cultive clairement l’esprit start-up et R&D au sein de ses équipes, il s’agit de l’un des chevaux de bataille du nouveau gouvernement ; que signifie cela pour votre développement ?

Travailler suivant une logique « entrepreneuriale » est un avantage que nous devons absolument garder si nous voulons continuer à avancer vite, car c’est un gage de réussite. Nous ne pouvons que nous réjouir que le gouvernement ait mis le développement des start-up dans ses priorités avec un ministère qui lui est dédié. Nous nous tenons à la disposition du gouvernement pour aider à trouver des solutions dans cette période de crise. J’ai moi-même eu l’occasion de participer à des réunions de travail dans différents ministères.

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