Un Ramadhan accessible à toutes les bourses, des produits alimentaires et de première consommation disponibles à des prix abordables ou encore une protection des intérêts du consommateur par la loi... Les Algériens sont sceptiques à l’entame du mois sacré par rapport à la résilience du porte-monnaie. Traumatisés par une année 2020 aux allures d’apocalypse avant l’heure, ils s’attendent à passer 30 jours à la merci des commerçants et de leur « saute d’humeur ». Et pour cause, la question des prix, sujet à la spéculation et à l’anarchie durant le Ramadhan, se pose chaque année. Entre fausses pénuries et vraies crises, les ménages algériens ne savent plus à quel saint se vouer. A commencer par le cas des viandes blanches et rouges, produits phares, dont la consommation augmente substantiellement durant cette période. La demande est telle qu’elle est estimée entre 90.000 et 100.000 tonnes en moyenne.
Pour soutenir la production nationale, le gouvernement a décidé d’importer 2.500 tonnes de viandes rouges congelées à partir d’Espagne. A ce titre, le ministre du Commerce, Kamel Rezig, a rassuré, fin mars, les citoyens quant à la disponibilité des produits alimentaires de large consommation. Il a indiqué que les secteurs concernés avaient pris les mesures nécessaires pour assurer la disponibilité des produits sur les marchés nationaux durant le Ramadhan, précisant que 1,6 million de tonnes de fruits et légumes, 24.000 tonnes de sucre et 25.000 tonnes d'huile devraient être mises sur le marché durant le mois sacré.
Concernant la pénurie de l'huile de table, M. Rezig a expliqué que l'augmentation des prix des matières premières sur le marché international et des coûts d'acheminement avaient contribué à la hausse du prix de gros de ce produit, passé de 570 DA à 590 DA, réduisant ainsi la marge bénéficiaire d'un grand nombre de grossistes qui se sont alors retirés de l'opération. Le ministre a, à ce propos, fait savoir que « l'Etat a remboursé la différence, à travers le Trésor public, et régulé à nouveau les prix ramenés à 570 DA ».
Anca : le stock de produits sera suffisant !
Le spectre des pénuries de produits de base, comme le lait, la semoule ou plus récemment l’huile de table, inquiète tout particulièrement les Algériens qui s’y préparent, à leur façon, en constituant leurs propres stocks. Mais à en croire l’Association nationale des commerçants et artisans (Anca), cela est inutile ! Les étalages ne manqueront de rien. Selon une déclaration de son président, El Hadj Tahar Boulenouar, la disponibilité du stock de produits destinés à la consommation pendant et même après le mois de Ramadhan en Algérie est assurée. « On pourrait commercialiser plus de 700.000 tonnes de légumes et de fruits, selon les estimations », a affirmé Boulenouar lors d’une récente déclaration.
Le représentant des commerçants a également indiqué que cette disponibilité est d’autant plus abondante, si l’on tient compte des quantités destinées à la consommation durant ces trois dernières années estimées entre 500.000 et 600.000 tonnes.
Néanmoins, les indicateurs macroéconomiques du premier trimestre 2021 indiquent clairement que la tendance haussière des prix en Algérie a encore de beaux jours devant elle. En effet, le taux d’inflation moyen annuel a atteint 2,6% à fin janvier dernier, selon les données de l’ONS. Par ailleurs, la variation mensuelle des prix à la consommation est de +0,6%. En termes d'évolution et par catégorie de produits, les prix des biens alimentaires ont affiché une augmentation de 1% ; une variation induite aussi bien par l'évolution des produits agricoles frais que par celle des produits alimentaires industriels. Les produits agricoles frais ont connu ainsi un relèvement du prix de 1,3%. Il s'explique principalement par une hausse des prix des viandes rouges (+0,9%), des légumes (+6,7%) et du poisson (+8,5%). D’autre part, les importations de céréales vont bon train depuis le début de l’année. L’Algérie a lancé plusieurs appels d’offres pour l’acquisition de blé tendre, de blé meunier et de maïs pour des quantités qui avoisinent le million de tonnes.
Le pouvoir d’achat des ménages tiendra-t-il le coup ?
« L’Algérie pourrait connaître, suite à la crise de la Covid-19, une augmentation des indices de pauvreté au sens multidimensionnel. La pression monétaire sur les ménages à cause de la Covid-19 peut entraver l’accès à une nutrition saine, variée et adéquate, avec des conséquences plus fortement ressenties par les enfants. Elle peut également modifier le comportement des consommateurs, les poussant, par exemple, à réduire la variété des aliments pour faire des épargnes ».
Selon une étude menée par le syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) et la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA), un ménage algérien composé de cinq personnes a besoin de 81.751.14 DA/mois pour subvenir à ses besoins, contre 73.027 DA/mois en 2017, soit une évolution de 12%.
Malgré une revalorisation du salaire minimum à 20.000 DA, sur décision du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, les estimations du Snapap et de la CGATA sont aux antipodes des réalités du pouvoir d’achat en Algérie, qui est mis à rude épreuve par la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale.
La Confédération des syndicats autonomes exige plutôt une révision de la politique salariale de manière à atteindre un équilibre dans le pouvoir d’achat et à préserver la dignité des employés et des travailleurs, de même qu’elle appelle à la création de l’Observatoire national du pouvoir d’achat et de l’indice du coût de la vie. Enfin, le secteur informel qui fleurit durant la période de Ramadhan aura également son mot à dire dans la régulation des prix. Souvent pointé du doigt à cause de ses effets inflationnistes ou de concurrence déloyale, l’informel pose également problème du fait de sa présence tentaculaire, lui permettant de concentrer un capital monétaire, grâce auquel il peut agir à tout moment sur l'ensemble de la chaîne de distribution. De son côté, l'État met davantage de pression fiscale sur les activités légales.
« Les circuits de distribution dans l'agroalimentaire attirent une multitude d'intermédiaires occasionnels, encouragés par l'emballement de la demande sur les denrées alimentaires à l'occasion des fêtes ou du mois de jeûne, leur permettant de tirer des gains substantiels au détriment des consommateurs », explique Brahim Guendouzi, professeur en économie.