Pour ce faire, le gouvernement dans son Projet de loi de finances 2022 prévoit la mise en place d’un dispositif de compensation au profit des ménages nécessiteux dans le but de soulager leur pouvoir d’achat une fois entamé le processus de suppression progressive des subventions, notamment concernant les produits alimentaires de large consommation. Il s’agit, en effet, de garantir la sécurité alimentaire à une catégorie de familles ciblées, tout en contribuant à la stabilité sociale et politique du pays.
Vers la fin des subventions tous azimuts
Selon l’analyse d’un expert algérien en sécurité alimentaire, la volatilité des prix des produits agricoles sur les marchés internationaux a incité l’Algérie à mettre en place, au cours de la décennie 2000, des mécanismes de subventions budgétisées pour le pain et la semoule, subventions élargies aux sucres et aux huiles à partir de 2011. Le différentiel entre les prix internationaux et les prix fixés aux consommateurs sont pris en charge par le contribuable. Les prix de ces produits sont largement subventionnés, et compte tenu des taux d’inflation et de la dépréciation du dinar algérien, les biens alimentaires de base n’ont pas connu d’augmentation exagérées et donc sont restés à prix constants sur ces trente dernières années, mis à part ces derniers mois de l'année 2021.
Le prix du pain à 10 DA la baguette, de même que le prix fixe administré du sachet de lait à 25 DA répondent à l'orientation historique d'aides aux ménages les plus nécessiteux, avec la fourniture d'une calorie ou d’une protéine animale « bon marché ». Tout dysfonctionnement dans la distribution du pain, de la semoule ou du lait donne lieu à des tensions sur le marché et parfois à de vives réactions sociales. Confrontés à une crise budgétaire sévère, les pouvoirs publics visent à une révision du système de subventions ciblant les populations les plus vulnérables mais, en l’absence d’un système de base de données sociales et économiques fiable et objectif en mesure de prendre en charge les populations cibles, il reste aujourd'hui très complexe mais indispensable à la fois d’envisager leur suppression.
Une problématique complexe
Les analystes économiques, notamment ceux du think tank citoyen algérien Nabni, ont traité en profondeur le sujet de la problématique des subventions en insistant sur les facteurs explicatifs de la réussite, ou de l’échec, de la politique de la levée des subventions. Ces derniers expliquent qu’outre la faisabilité opérationnelle de toute nouvelle approche, surtout si elle nécessite de disposer d’informations pertinentes sur les conditions de vie des citoyens ou d’avoir une administration efficace, la faisabilité politique est également à considérer. Du reste, ils mettent en garde contre toute mesure brutale dans ce sens, en arguant du fait que les Algériens ont été habitués à des prix bas pour un certain nombre de biens.
Une augmentation brutale de ces prix pourrait être mal perçue par la population. Il ne s’agit, donc, pas de mettre fin purement et simplement aux subventions. Il est également nécessaire de tenir compte de l’impact différencié qu’une politique peut avoir sur les différentes catégories sociales. Par exemple, une simple réduction du montant des subventions pour les produits alimentaires de base aura inévitablement un impact plus important sur les ménages les moins aisés. Une hausse des prix de l’énergie aura un impact direct plus important sur les ménages les plus aisés et sur la classe moyenne également. Si cette hausse touche aussi les entreprises, comme celles du secteur du transport, elle aura un impact indirect sur les ménages les plus défavorisés à travers une hausse de l’inflation.
Quelles sont les options qui s’offrent à l’Algérie ?
L’option idéale serait de verser une allocation directement et uniquement aux ménages nécessiteux qui auraient été identifiés et répertoriés. Effectivement, c’est un choix défendu par les experts du think tank citoyen algérien Nabni même si cela paraît plus théorique que pratique. En réalité, il est très difficile, même dans des pays très avancés possédant des systèmes d’information autrement plus fiables et sophistiqués que les nôtres, d’arriver à cibler correctement les populations concernées qui, par nature, sont souvent en dehors des « radars ». Il existe, donc, deux autres options, plus imparfaites en théorie, mais beaucoup plus efficaces dans la réalité : la distribution d’un revenu universel ou alors le ciblage des ménages nécessiteux sur base déclarative.
Dans le premier cas, le transfert monétaire non conditionnel a l’avantage de ne pas nécessiter de disposer d’une information sur les conditions de vie des citoyens. En effet, un revenu identique pour tous les citoyens est versé chaque mois.
Dans le second cas, une allocation est distribuée à tous les citoyens (ou ménages) qui déclarent avoir un revenu inférieur au seuil prédéfini par le gouvernement. Dans ces deux cas, nous réduisons fortement le risque de ne pas couvrir les nécessiteux, mais le prix à payer est une distribution de ressources monétaires à des citoyens qui ne sont pas dans le besoin (ce qui est tout à fait assumé dans le premier cas, à savoir le revenu universel).
Le lourd fardeau des transferts sociaux
L’enveloppe budgétaire destinée au soutien aux familles pour 2022 a été évaluée à 597,7 milliards de dinars, en augmentation de 8% par rapport à la Loi de finances complémentaire 2021. Le Projet de loi de finances (PLF) 2022, présenté récemment par le Premier ministre, ministre des Finances, Aïmene Benabderrahmane, devant la commission des finances et du budget de l’Assemblée populaire nationale (APN), prévoit un budget de 1.942 milliards de dinars quant aux transferts sociaux, représentant 8,4% du produit intérieur brut (PIB), en baisse de 131,2 milliards de dinars (-6,3%) par rapport aux prévisions de la Loi de finances complémentaire 2021.
Comparé à la Loi de finances complémentaire 2021, « le poids des transferts sociaux dans le budget de l’État prévu pour l’année 2022 enregistrerait une baisse, en passant de près de 24% en 2021 à 19,7% en 2022 », comme souligné dans « le rapport de présentation du Projet de loi de finances 2022 et prévision 2023-2024 ». Aussi, la structure des transferts sociaux pour 2022 fait ressortir que le soutien de l’État en direction des familles et celui consenti aux secteurs de l’habitat et de la santé représentent 62% de l’ensemble des transferts. Selon le PLF 2022, le montant alloué dans le cadre du soutien aux familles est évalué à 597,7 milliards de dinars, en augmentation de 8% par rapport à la Loi de finances complémentaire 2021, représentant 31% du total des transferts. Il faut noter que ce budget est principalement consacré à la subvention des prix des produits de base (céréales, lait, sucre et huile alimentaire) avec un montant de 315,5 milliards de dinars, représentant près de 53% du soutien destiné aux familles et 16% de l’ensemble des transferts, indique le document.
L’enveloppe financière affectée au soutien en direction de l’habitat est estimée à plus de 247 milliards de dinars, soit une baisse de 42% par rapport à la Loi de finances complémentaire 2021, représentant 13% de l’ensemble des transferts. D’autre part, l’enveloppe destinée au soutien pour le secteur de la santé s’élève à 361,1 milliards de dinars, en recul de 9% par rapport à la Loi de finances complémentaire 2021, représentant 19% du total des transferts.
Globalement, le montant des transferts sociaux oscille entre 12 et 14 milliards de dollars par an. « Ce chiffre doit être revu à la baisse, d'une manière ou d'une autre, sans pour autant attenter aux couches de la population qui sont dans le besoin », a déclaré récemment le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, lors d'une entrevue avec des responsables de médias nationaux. Ce dispositif sera mis en oeuvre après la révision et l'ajustement des prix des produits soutenus. Il sera concrétisé à travers un programme de transfert monétaire direct au profit des ménages éligibles.
A travers sa politique sociale, l’Etat algérien assure une mission de protection du pouvoir d'achat des couches de populations nécessiteuses, pauvres et vulnérables, à travers plusieurs dispositifs de subventions directes et indirectes (subventions aux prix, bonification des taux d’intérêt…). Les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions. Les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, elles sont dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et aux logements.
Enfin, il est utile de rappeler que le FMI a préconisé à maintes occasions au gouvernement algérien de procéder à une levée progressive des subventions en particulier sur plusieurs produits de consommation. C’est pourquoi, notre pays a recouru à l’expertise technique du FMI pour élaborer les meilleurs mécanismes à adopter pour mettre en oeuvre cette réforme du système des transferts sociaux.