A peine quelques semaines après la visite d’amitié et de travail du président français Emmanuel Macron en Algerie, sa nouvelle Première ministre française, Elisabeth Born, a effectué, les 9 et 10 octobre derniers à Alger, son premier déplacement à l’étranger en tant que cheffe du Gouvernement. Accompagnée par une quinzaine de ministres et de nombreux chefs d’entreprises et autres membres de la communauté d’affaires française, madame Borne s’est, en effet, rendue à Alger pour tenter de poursuivre les efforts de « normalisation » des relations politiques et économiques de la France avec l’Algérie, à la suite de multiples déclarations à l’emportepièce du côté de Paris, ayant contribué sensiblement à crisper les relations bilatérales. A l’ordre du jour, le cinquième Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) et un Forum d’affaires bilatéral.
Au tarmac de l’aéroport international Houari-Boumediène, c’est un Premier ministre algérien serein et calme qui accueille comme il se doit son homologue française. Chez Aïmene Benabderrahmane, la routine est bien rodée, car les visites des chefs d’État et et de Gouvernement se sont enchaînées tout au long de l’année 2022. Celle d’Elisabeth Borne et sa délégation n’en est qu’une de plus dans l’esprit des Algériens qui depuis le « Hirak » ont préféré rompre avec le caractère « spécial » qui surplombait l’atmosphère générale dès qu’il s’agissait d’une visite effectuée par un haut responsable français. « Fini les sérénades et autres représentations folkloriques, désormais, ce sera le pragmatisme et le gain mutuel qui dicteront leur loi sur la nature des relations algéro-françaises, dans quelque domaine que ce soit et cela vaut mieux pour tout le monde », nous murmure à l’oreille un membre du staff algérien chargé d’accueillir la délégation française.
Reprise des travaux du 5e Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) après près de 5 ans d’interruption
Déterminées à reconstruire une relation économique digne de ce nom, basée sur un partenariat renouvelé, dont les contours ont été tracés par les deux présidents respectifs, l’Algérie et la France défrichent le terrain institutionnel, avant de passer le témoin aux entreprises et businessman des deux bords de la Méditerranée. C’est dans cet esprit de « coopération » et de « collaboration » que les travaux du 5e Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) ont été ouverts par Aïmene Benabderrahmane et Elisabeth Borne. Mais en économie, chacun doit être maître de son destin !
Et en ces temps de crises majeures à l’échelle internationale, les intérêts de l’Algérie et de la France peuvent converger ou diverger, selon la situation de chaque pays. Si la France et par extrapolation l’Europe sont en train de sombrer dans une crise énergétique sans précédent, leur imposant de trouver rapidement de nouveaux partenaires et fournisseurs pouvant leur permettre de passer les prochains hivers au chaud et de redémarrer certaines de leurs industries à l’arrêt ou au ralenti depuis le début du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine, à Alger, l’on regarde plutôt vers l’avenir : diversification économique, hausse des exportations hors-hydrocarbures, transition énergétique, transfert technologique, parts de marché en Afrique...
Lors de ce CIHN, pas moins de 11 accords bilatéraux de coopération économique ont été signés par les deux pays. Une déclaration d'intention dans le domaine du tourisme et une lettre d'intention dans le secteur de l'économie de la connaissance, de l'innovation et de l'entrepreneuriat ont été signées par le ministre du Tourisme et de l'Artisanat, Yacine Hamadi, et son homologue, Olivia Grégoire. Un protocole d'accord entre Algeria Venture et l'Agence française de développement, signé par Yacine Oualid et la ministre déléguée aux Petites et Moyennes entreprises, au Commerce, à l'Artisanat et au Tourisme, Olivia Grégoire.
Il s'agit, aussi, d'une Déclaration d'intention sur le travail et l'emploi, signée par le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Youcef Chorfa, et le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Olivier Dussopt, ainsi qu'un accord de coopération dans le domaine agricole, le développement rural et l'industrie agroalimentaire signé par le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Mohamed Abdelhafid Henni, et le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau. A cela s'ajoutent une Déclaration d'intention sur la coopération industrielle et technologique signée par le ministre de l'Industrie, Ahmed Zeghdar, et le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, de même qu'une lettre d'intention sur la coopération en matière d'égalité des chances signée par le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l'étranger, Ramtane Lamamra, et la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna.
Les deux ministres ont aussi signé une lettre d'intention sur le renforcement des échanges dans les domaines de la protection et de la promotion des personnes handicapées et une Déclaration d'intention relative aux instituts des sciences et technologies appliquées (Ista) ainsi qu'une conventioncadre relative au réseau mixte des écoles RME. A noter qu’Elisabeth Borne a déclaré que trois axes ont été privilégiés pour ce partenariat renforcé, à savoir « l'économie pour développer le commerce, l'innovation et la création d'emplois » ; « la mobilité et les visas ; et la jeunesse via des coopérations éducatives et culturelles accrues ».
La cheffe du Gouvernement français a déclaré, en marge de la cérémonie de signature des accords susmentionnés, que « le Comité intergouvernemental illustre, de par sa composition et la diversité des sujets traités, toute la richesse et la densité de notre coopération, à l’image de la Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé, signée le 27 août dernier ». De son côté, le Premier ministre algérien, Aïmene Benabderrahmane, a insisté sur « l'importance d'encourager les partenariats et les investissements productifs et créateurs de richesses et d’emplois, notamment dans le cadre du nouveau régime juridique de l'investissement en Algérie, et de ne pas se contenter d'échanges commerciaux qui ne peuvent, à eux seuls, atteindre l'horizon prometteur que les dirigeants des deux pays ont tracé pour la relation algéro-française ». Faisant état de « promesses d’investissements français directs en Algérie dans tous les secteurs », le Premier ministre n’a pas manqué de rappeler la nouvelle loi régissant l’investissement en Algérie, récemment entrée en vigueur, qui « met l’investisseur national et étranger au même pied d’égalité et fournit toutes les garanties ».
Un Forum d’affaires bilatéral consacrant un « partenariat rénové »
L’engouement et l’espoir suscités par le 5e CIHN entre l’Algérie et la France ne pouvaient être palpables sans que les réseaux d’entreprises et autres communautés d’affaires, à qui il incombera de travailler à la réalisation de ses orientations et décisions, n’aient à échanger, à leur tour, sur les modalités de coopération et de partenariat et les opportunités d’affaires. Ils se sont retrouvés au lendemain de cet événement, à l’hôtel El Aurassi, à Alger, pour poursuivre cet élan, dans le cadre d’un Forum économique bilatéral auquel ont pris part plus d’une cinquantaine d’entreprises et organismes de promotion de l’investissement français : Desautel, Avril, Klubb, Metracom, Sanofi, Suez, Bpifrance, Medef International, Generale Energie, Creative Valley ou encore Famex.
Le Premier ministre algérien a rappelé en ouverture de ce Forum « l'engagement du Gouvernement à accompagner les investisseurs désirant accéder au marché algérien. Il a relevé que les axes devant être abordés lors des ateliers du Forum constituent des opportunités de partenariat dans divers secteurs ». Et de préciser qu’ils figurent parmi les priorités du Gouvernement visant à diversifier l'économie nationale, s'affranchir de la dépendance aux hydrocarbures et attirer les investissements étrangers directs (IDE), productifs et créateurs de richesse et d'emplois.
Le chef du Gouvernement a énuméré une à une les filières stratégiques prometteuses qui ouvrent la voie à des investissements français en Algérie, à l'image des énergies renouvelables, la transition énergétique, les industries agroalimentaires et d'autres industries manufacturières telles les industries mécaniques, électroniques et électroménagères, celle du textile et du cuir et les activités de sous-traitance y afférentes, sans oublier l'industrie pharmaceutique.
Par ailleurs, les membres de la délégation française ont été ravis d’apprendre que le marché algérien leur tendait les bras et se sont même félicités du fait que l’Algérie soit actuellement une destination d’affaires prisée, à l’aune des transformations géo-économiques qui s’opèrent actuellement dans le monde. Interrogé par L’ACTUEL, le vice-président du Medef, Fabrice le Saché, a déclaré qu’une alliance devait lier les deux pays sur le plan économique, notamment en matière de production.
« Nous avons pendant longtemps parlé de colocalisation lorsqu’il s’agissait d’envisager de produire ensemble en Algérie des biens et services. Je vous avoue aujourd’hui que ce terme me dérange et je lui préfère celui d’alliance, car c’est de cela qu’il s’agit. Qu’il y ait de la concurrence italienne, turque, chinoise ou même qatarie ne doit en aucun cas nous préoccuper car les Français doivent comprendre qu’il est temps pour eux de se secouer. Rien n’est acquis en Algérie. Ce pays est la porte de l’Afrique et nous voulons y aller avec vous, c’est pourquoi nous sommes prêts à investir et produire chez vous », a-t-il détaillé.
Mais en ce qui concerne la partie algérienne, l’ambition est mise à un niveau supérieur et cible avant tout la maîtrise technologique et les taux d’intégration, mais également la production de matières premières. « Il faut qu’on aille ensemble vers la production d’intrants, car c’est cela le coeur de la souveraineté économique, et aujourd’hui, force est de constater que nous en importons beaucoup. Nous devons nous attacher à le comprendre et proposer à nos partenaires français, ou autres, des projets qui nous permettront de profiter de leur savoir-faire sur le plan technologique, afin d’aller vers la production d’intrants nécessaires à notre industrie sur le sol algérien ».