L’ACTUEL : Tout d’abord, nous vous remercions, M. Daoudi, de nous accueillir au stand d’Alnaft. Pourriez-vous nous faire un état des lieux rapide de la situation de la prospection pétrolière et gazière en Algérie et dans le monde ?
Noureddine Daoudi : Il faut savoir qu’Alnaft, étant propriétaire du domaine minier, fait des demandes au gouvernement pour l’obtention de titres miniers qui permettent à Sonatrach et à ses partenaires de procéder à des projets de prospection. Dernièrement, nous avons obtenu des titres sur l’Algérie du Nord, permettant ainsi à l’entreprise nationale des hydrocarbures et ou à ses partenaires de pouvoir investir dans l’exploration et la recherche.
Sur le plan quantitatif, nous pouvons apprécier les efforts, en observant la tendance sur les quatre dernières années. En effet, cette période a vu la conclusion de 13 contrats (qui s’ajoutent aux contrats déjà en cours) et 3 avenants de cession sur des projets de recherche et d’exploitation des hydrocarbures. En termes de réalisations, sur cette même période, près de 1.040 puits (exploration et développement confondus) ont été forés (soit une moyenne de 260 puits par an), parmi lesquels on compte plus de 300 puits d’exploration. Cet effort, qui comprend également plusieurs autres travaux de recherche, tels que l’acquisition et le traitement sismiques, s’est soldé par la réalisation d’une centaine de découvertes d’hydrocarbures, ayant permis la mise en évidence de réserves d’hydrocarbures prouvées et probables, près de 700 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP).
Sur le plan mondial, les conséquences de la pandémie, au niveau de l’amont pétrolier, ont fait que les investissements mondiaux en exploration et production (E&P) ont fortement baissé, de plus de 30% par rapport à 2019, de même que les budgets alloués aux actifs déjà en production (revus à la baisse de près de 34%).
Au Napec 2021, il a surtout été question de transition énergétique, pourtant l’Algérie semble à la fois être proche et loin de cet objectif ambitieux. Quelle serait, selon vous, l’étape intermédiaire à franchir avant d’entrer pleinement dans ce processus ?
Cette transition dont vous parlez nous est imposés. Nous devons désormais prendre le train en marche sinon nous risquons de rester à quai. C’est un passage obligatoire qui doit, toutefois, se faire de manière douce pour qu’il n’y ait pas trop de casse, car c’est cela même le sens du mot « transition ».
Néanmoins, il faudrait que les sources des énergies fossiles et renouvelables soient complémentaires et non qu’il y ait un antagonisme entre elles. Au stade actuel, les énergies vertes ont besoin de l’apport en capitaux qui provient du fossile, un peu à l’image de ce qu’à fait la Norvège pour développer ce créneau. L’idéal serait, donc, qu’un certain équilibre se produise entre les deux sources d’énergie, de telle sorte que la part renouvelable augmente au fur et à mesure que celle du fossile baisse.
Pour ma part, je suis partisan du lancement de petits projets qui viendraient en appoint au modèle actuel, par exemple des petites centrales dans toutes les bases de Sonatrach, afin de diminuer un peu la part du gaz dans les activités quotidiennes, et aller crescendo vers des projets plus ou moins importants, jusqu’en 2040, où il pourrait y avoir un certain mix et arriver à l’objectif de la décarbonatation, à l’horizon 2050.
Justement, les objectifs de décarbonatation poussent l’Algérie à revoir sa feuille de route en matière d’exploration, car ils imposent aux majors pétrolières des nouvelles contraintes techniques et juridiques. Que devrions-nous faire pour permettre à nos partenaires de continuer à travailler avec nous ? Est-ce que nos parts de marché dans le monde sont menacées ?
Si l’on veut passer du modèle d’énergie fossile, polluante, à un modèle d’énergie verte d’origine renouvelable, il faudrait commencer par faire des efforts au niveau de certains domaines. Par exemple, Sonatrach poursuit l’objectif d’être à un niveau de 0% de torchage de gaz, en 2030. Mais pour que ces efforts soient possibles, l’Algérie doit continuer à investir dans la recherche et de développer ses gisements. Elle a également besoin de l’apport technologique de ses partenaires. Mais il faut des incitations pour que leurs projets soient économiquement viables, tout on entrant dans des processus de décarbonatation progressifs.
Quels sont les avantages qu’octroie la nouvelle loi sur les hydrocarbures 13-19 à toute entreprise désirant travailler en Algérie ?
Cette loi découle de l’ancienne (05-07), via laquelle l’Algérie avait lancé un appel d’offres. Pas moins de 31 projets avaient été mis sur la table, et seuls 4 avaient été retenus. Conclusion, cet appel d’offres a été un échec. L’analyse qui a été faite pour comprendre quels étaient les motifs de cet échec a démontré qu’il fallait améliorer cette loi ou la changer. Car l’un des points essentiels qui avait, à l’époque, refroidi tous les partenaires, était celui lié à la fiscalité, jugée trop contraignante par rapport à ce qui se faisait partout ailleurs.
Les benchmarks sur les assiettes fiscales de tous les projets tournaient autour des 60% au moment où ils atteignaient les 80% en Algérie. Nous avions, en effet, la pression fiscale la plus élevée au monde ! Donc, si nous voulions attirer des investisseurs, il nous fallait faire des efforts dans ce sens, autrement ils n’allaient jamais venir chez nous, car il est inconcevable de penser qu’ils accepteraient de travailler à perte. Il s’agit avant tout de business ! De ce fait, la 13-19 vise essentiellement l’assouplissement et l’amélioration des conditions de réalisation des projets, permettant une meilleure rentabilité, laquelle est bénéfique aussi bien pour les investisseurs et opérateurs que pour l’Etat.
Parmi les principales dispositions légales introduites par la loi régissant les activités d’hydrocarbures, je citerai, notamment : un nouveau cadre contractuel avec trois types de contrats d’hydrocarbures adaptés à différents types de projets (participation, partage de production et service à risques) ; un système fiscal simple qui améliore sensiblement le classement de l’Algérie dans la moyenne de prélèvement appliquée par la plupart des Etats producteurs d’hydrocarbures ; l’introduction de plus de flexibilité dans la conduite des opérations pétrolières et la diversification des voies pour la conclusion d’un contrat d’hydrocarbures. Ce nouveau cadre légal permettra, en outre, la mise en oeuvre de la feuille de route des pouvoirs publics en faveur de l’intensification de l’effort de recherche et d’exploration, y compris dans l’offshore et le nord du pays pour mettre en évidence de nouvelles réserves d’hydrocarbures ; l’optimisation de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures ; l’introduction et l’utilisation de nouvelles technologies, telles que l’amélioration de la récupération ultime des gisements matures et, enfin, l’investissement dans le renforcement des capacités de production.
Le progrès technologique caractérisé par la transformation numérique et l’émergence de l’intelligence artificielle est en train de provoquer une mutation inéluctable du secteur des hydrocarbures ; où en est-on chez Alnaft et Sonatrach ? Est-ce que l’Algérie est prête à relever ce défi ?
Il s’agit-là d’un autre train à prendre en marche ! Les techniques de digitalisation, de big data et d’intelligence artificielle ne sont plus un secret dans notre domaine. L’utilisation de certaines méthodes et process nouveaux permet des gains en temps et en argent considérables, en forage et en production et, par conséquent, une économie de coûts. Mais il faudra à l’Algérie des investissements dans ses capacités humaines avant le matériel.
Dans le cadre du Napec, j’ai eu des discussions avec des sociétés de services qui ont investi dans cette digitalisation, afin de nous projeter sur les voies d’intégrer ces nouvelles technologies au sein de nos différents services. Nous chez Alnaft, nous avons une mission essentielle, qu’est la gestion de la banque de données nationale. Il s’agit d’un capital data tellement important et riche que nous devons bien préserver et bien exploiter pour les générations futures.
Pour terminer, un mot sur l’offshore en Algérie…
Comme vous devez le savoir, Sonatrach avait, en 2018, signé des autorisations de prospection avec des partenaires étrangers au large d’Oran et de Béjaïa. Les premiers travaux réalisés dans le cadre de ces projets étaient de faire de l’acquisition sismique 3D puis une interprétation suite à un traitement des données recueillies. Les autorisations de prospection ont une durée de vie de deux ans, avec possibilité de renouvellement, qui a eu lieu pour un seul projet, le 24 décembre 2020, en l’occurrence celui de la partie est de l’Algérie, pour mieux affiner les études déjà entreprises.
En termes de stratégies, je dirai que notre problématique en Algérie se situe au niveau de l’ancrage des projets, qui sont dans l’ultra deep ou l’offshore profond, dans lequel la tranche d’eau est à 2.000 voire 2.500 mètres. C’est également une zone complètement vierge. Il n’est, donc, pas aisé d’aller entamer un forage rapidement, compte tenu des coûts, car le moindre forage en offshore équivaut à un budget de 100 millions dollars. L’autre contrainte, c’est le respect de l’environnement. De ce fait, je pense qu’il faudrait continuer à faire des travaux de G & G (géologie et géophysique), afin de déterminer le vrai potentiel de l’offshore algérien.