L’ACTUEL : D’abord merci de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous commencer par nous faire un petit bilan des résultats et activités d’Asmidal durant l’exercice précédent (2022) ?
Mohamed Tahar Heouaine : J’aimerais tout d’abord rappeler que le groupe Asmidal est une filiale de Sonatrach. Il a été créé dans le cadre de la restructuration de Sonatrach en 1984. Asmidal compte dans son portefeuille quatre filiales, dont Fertial dans laquelle nous sommes désormais majoritaires, et quatre participations.
En 2022, nous avons créé deux nouvelles sociétés. Il s’agit d’AC Fertilizer Company (ACFC), en partenariat avec le groupe public Manal et deux sociétés chinoises, à savoir Wuhuan et Tian’An afin de prendre en charge le projet phosphate intégré (PPI). La deuxième c’est la Société Algérienne de la Nutrition Animale et Végétale (ALNUTRAV) qui sera chargée de la production de phosphate alimentaire, engrais et d’autres produits chimiques, actuellement importés.
Ce sont deux projets structurants visant à répondre aux besoins du marché national, et réduire la facture d’importation dans un premier temps avant de devenir exportateur et participer ainsi à la diversification de l’économie et des exportations nationales.
D’autres projets sont inscrits dans les perspectives de développement du groupe ASMIDAL.
Quels sont vos projets en ce qui concerne Fertial ?
Fertial a connu une situation financière particulièrement difficile à cause de l’incident qui a surgi au niveau de l’usine d’Annaba en 2019, néanmoins, à travers le budget d’investissement prévu pour 2023, nous allons pouvoir la remettre sur rail et FERTIAL sera en mesure de relever le défi en vue de redresser cette situation et de regagner sa place sur le podium des producteurs d’engrais dans le bassin méditerranéen afin de couvrir le besoin national en engrais et pourquoi pas exporter l’excèdent d’autant plus que le marché national est demandeur actuellement.
Le développement de la filière des engrais a été inscrit parmi les priorités économiques du Gouvernement ; pourriez-vous nous expliquer la marche à suivre chez Asmidal pour atteindre les objectifs tracés à moyen et long termes ? Notre Groupe a inscrit son action dans une démarche d’investissement très ambitieuse. Depuis deux années et demie que je suis à la tête d’Asmidal, nous avons tenu à ne pas perdre de temps et nous avons directement lancé des mesures dans ce sens. Les deux sociétés nouvellement créées vont nous permettre de concrétiser nos ambitions.
Le premier projet (PPI) va être le plus gros investissement dans le domaine des engrais au monde actuellement avec un CAPEX de 7 milliards de dollars. Ce projet va permettre de transformer 10 millions de tonnes de phosphate brut par an du gisement de Bled El Hadba, dans le bassin de Djbel El Onk (wilaya de Tébessa, Ndlr), et dont les réserves avoisinent un milliard de tonnes, pour obtenir 06 millions de tonnes par an de phosphate enrichi qui vont permettre la production de près de 06 millions de tonnes d’engrais azotés, phosphatés et composés ainsi que d’autres produits chimiques à forte valeur ajoutée, au niveau d’un grand complexe industriel qui sera implanté à Oued El Kébérit ( Wilaya de Souk Ahras).
Ce projet qui sera réalisé en partenariat avec les Chinois est actuellement en phase d’étude, durant laquelle toutes les études techniques et économiques nécessaires à la réalisation du projet devront être élaborées telles que l’étude de faisabilité, l’étude de marché, l’étude géotechnique et l’étude d’impact environnemental… Ces études ainsi que les contrats et conventions avec les prestataires et fournisseurs de matières premières et de services, sans oublier les contrats « offtake » avec les futurs clients, et le contrat de financement du projet sont des préalables à la prise de décision finale d’investissement en fin d’année 2023.
Nous avons mis en œuvre tous les moyens pour que le projet soit réalisé dans les règles de l’art.
Qu’en est-il du deuxième projet ?
Il s’agit d’un projet à très haute valeur ajoutée. Il concerne la production du Phosphate Di-calcique (DCP) et le Phosphate Mono-calcique (MCP), dont la facture d’importation actuelle avoisine les 100 millions de dollars. Avec le volume de production prévu les besoins du marché local seront totalement couverts, l’excédent sera destiné à l’exportation pour des marchés fortement demandeurs estimé actuellement à environ 10 milliards de dollars.
Ce projet va, par ailleurs, permettre de produire certains produits chimiques nécessaires aux opérations de forage de pétrole et de gaz, que le pays importe actuellement.
Il est à préciser que le marché international des engrais évolue à hauteur de 5% par an et c’est pour cela que nous sommes conscients du fait que nos projets seront rentables.
J’aimerais également souligner que, dans le domaine de production d’engrais, le groupe SONATRACH a réalisé, en partenariat avec des investisseurs étrangers, deux usines d’engrais azotés au niveau d’Arzew, produisant environ 3,4 millions de tonnes d’urée, couvrant totalement le besoin national, tandis qu’une quantité importante est destinée à l’exportation.
Enfin, Asmidal suivra sa politique de développement de ses activités et l’extension de ses investissements dans d’autres projets.
L’Algérie produit actuellement quelque 3,4 millions d’urée et compte doubler cette quantité via le projet phosphate intégré de Tébessa, ce qui devrait projeter Asmidal dans une autre dimension ; êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Dans le cadre du projet phosphate intégré, nous comptons produire 1 million de tonnes d’urée, en plus des 3,4 millions que Sonatrach et ses partenaires produisent actuellement. Les producteurs visent à augmenter leurs capacités de production via la transformation de l’ammoniac en urée, vu que c’est un produit intermédiaire. Au niveau de Fertial, nous avons aussi l’intention de s’inscrire dans cette stratégie en produisant 01 million de tonnes d’urée supplémentaires. A moyen terme la production d’urée doublera et l’Algérie sera parmi les leaders mondiaux.
Dans le cadre du PPI, toute une gamme de produits sera développée. Le projet va permettre de produire en plus de l’urée, 5 millions de tonnes de DAP, MAP, NPK et d’autres produits chimiques à travers la revalorisation de rejets pour en sortir des produits comme l’AHF et le dioxyde de silicium, qui sont deux matières premières nécessaires à la production de panneaux solaires. Il s’agit d’un projet qui va ouvrir de nouvelles perspectives pour l’économie nationale.
Aussi, à moyen terme, nous allons atteindre le volume de 10 millions de tonnes d’engrais de tous types, en sachant que le besoin potentiel de l’Algérie ne dépasse pas actuellement 1 million de tonnes ; le reste sera destiné à l’exportation.
Justement, le Président de la République a mis l’accent tout récemment sur la nécessité de développer la production locale d’urée 46%, compte tenu de son caractère crucial dans l’amélioration du rendement de la production agricole. Est-ce une bonne nouvelle à la fois pour Asmidal et pour nos agriculteurs ?
Les agriculteurs nationaux s’approvisionnent en urée à des prix parmi les plus bas au monde. Le travail effectué au niveau du comité interministériel instauré par Monsieur le Premier Ministre, dont je suis membre, et qui compte huit départements ministériels, sur la réorganisation du marché de l’urée, depuis fin 2020, a permis de mettre fin aux importations.
A partir du 1er janvier 2021, il n’y a pas eu d’importations de cet engrais et tous les besoins de l’agriculture nationale sont satisfaits à partir de la production nationale. Notez, par ailleurs, que le volume demandé par le marché domestique ne dépasse pas les 200.000 tonnes. Donc, l’excédent de production est destiné à l’export, qui connaît actuellement des prix très élevés.
Avez-vous de la visibilité par rapport à ces débouchés à l’export ?
Effectivement ! Nous avons nos marchés traditionnels qui sont les pays européens principalement, mais ces derniers temps, nous avons abordé le marché de l’Amérique latine ainsi que l’Afrique.
Le marché africain est très prometteur et fait partie de nos principaux objectifs, nous citons à titre d’exemple la région de l’Afrique de l’Ouest dont les besoins en engrais passeront de 3,5 millions de tonnes d’engrais à 12 millions à l’horizon 2030. L’augmentation des prix au niveau international a fait que ces pays-là ont eu beaucoup de difficultés pour s’approvisionner durant l’année dernière.
Il faut, donc, que nous soyons au rendez-vous car nous sommes les mieux placés pour satisfaire ce marché, notamment en présence d’infrastructures de transport routier et ferroviaire telle que la route entre Tindouf-Zouirat et la route transsaharienne ainsi que les nouvelles lignes maritimes ouvertes récemment avec le Sénégal et la Mauritanie, ce qui nous permettra de pénétrer ce marché en force et pourquoi pas en devenir le premier fournisseur.
En 2021, Asmidal est intervenu dans le cadre d’une convention cadre signée avec l’OAIC pour aider les agriculteurs algériens à couvrir des besoins pressants en termes d'engrais, au moment où les prix des intrants connaissent une hausse notable à l'échelle internationale ; pourriez-vous nous faire part des mesures qui ont été prises depuis ?
Cela a été fait dans le cadre de l’organisation du marché des engrais, en vue de minimiser le nombre d’intervenants et intermédiaires et de maîtriser les prix en régularisant le marché et les marges bénéficiaires.
Nous avons une société filiale appelée ASFERTRADE qui dispose des dépôts de vente, de moyens de logistique, et des équipements nécessaires pour assurer en continuité l’approvisionnement du marché et de l’agriculture en engrais, à partir de ses propres dépôts ainsi que les dépôts et points de vente des CCLS qui se trouvent à travers tout le territoire national. Donc, nous exploitons le réseau de distribution de l’OAIC pour faciliter aux agriculteurs l’accès à nos produits.
Lorsqu’un pays comme l’Italie est intéressé par l’approvisionnement en ammoniac depuis l’Algérie via un gazoduc qui sera développé conjointement, qu’est-ce que cela vous évoque-t-il ?
Vous savez, les opportunités se présentent à nous dans plusieurs domaines. L’ammoniac est un dérivé du gaz. Il s’agit- d’une énergie d’avenir. Je pense que l’Algérie se dirigera davantage vers des opérations de ce genre. Actuellement, le monde entier se prépare pour l’exploitation de l’hydrogène vert et l’ammoniac vert, celle-ci obéit d’ailleurs à une réglementation très stricte d’où la nécessité de se préparer dès maintenant et nous adapter à l’environnement juridique et normatif, afin de pouvoir accéder à certains marchés. Nul doute que c’est un pas très important vers l’avenir et un travail d’anticipation très précieux.
Vous avez été élu en 2021 à la tête de l’Association arabe des engrais ; en quoi consiste le travail de cette institution et quel rôle joue panarabe ?
L’Association arabe des fertilisants (AFA) est une organisation non gouvernementale qui exerce sous l’égide de la Ligue Arabe, créée en 1975, rassemble l’ensemble des acteurs de l’industrie des fertilisants représentant le tiers (1/3) de la production mondiale des engrais.
L’AFA organise des évènements internationaux sur l’industrie des engrais, on évolution, le savoir-faire dans le secteur et l’avenir de cette industrie, ainsi que sur le marché des engrais dans le monde. Un espace d’échange très important qui réunit tous les acteurs de la filière des fertilisants (les producteurs, les fournisseurs, les technologues et les traders), L’Algérie a accueilli pour la première fois depuis la création de l’AFA, la 34ième conférence technique de l’AFA qui s’est déroulée en mois d’octobre de l’année dernière.
Cependant, présider l’AFA reste très important pour nous, car nous y faisons profiter nos sociétés pour en tirer expérience et en bénéficier au maximum des opportunités.
Et je vais conclure par vous informer que je viens également d’être nommé ambassadeur représentant de l’Afrique au niveau de l’Association Internationale des Fertilisants (IFA).