Nous tenons, tout d’abord, Monsieur le ministre, à vous féliciter pour votre nouvelle nomination à la tête du département ministériel de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville. Après plus de deux mois de votre installation officielle, quelles en sont vos impressions, vous qui êtes un fin connaisseur du secteur de l’habitat en Algérie ?
M. Kamel NASRI : Tout d’abord, je tiens à remercier monsieur le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour la confiance placée en ma personne à la tête d’un secteur stratégique et qui constitue une des priorités de son programme.
Etant issu de ce secteur sensible, je suis conscient de l’ampleur de la responsabilité et des défis qui m’attendent. Aussi, je m’attèlerai à trouver des solutions aux problèmes les plus préoccupants du secteur afin de satisfaire les attentes des citoyens des différentes couches sociales.
Ne trouvez-vous pas que votre mission est très sensible après avoir hérité d’un passif et d’un actif pour le moins qu’on puisse dire très chargés ?
J’estime que la situation du secteur est difficile mais c’est une nouvelle aire qui s’ouvre et qui exige de tous les cadres dévoués du pays de ne ménager aucun effort en vue de réaliser la prospérité et le bien-être de nos compatriotes, notamment dans les zones d’ombre. Mes cadres et moi veilleront à assurer la poursuite des efforts consentis par mon prédécesseur qui a aussi pris les rênes de ce secteur dans une conjoncture difficile.
Le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, a annoncé récemment qu’une Loi de finances complémentaire (LFC) pour l'exercice 2020, destinée à dégager les financements nécessaires aux actions urgentes et prioritaires, est en cours de préparation ; le secteur de l’habitat sera certainement en première ligne. Peut-on savoir quelles seront essentiellement les actions qui devraient bénéficier de financements complémentaires afin de réaliser les objectifs du secteur ?
Il convient de souligner que les financements demandés au titre de la LFC 2020 constituent des appoints pour permettre l’achèvement des programmes en cours de réalisation dans les meilleures conditions. Il s’agit en premier lieu de permettre de financer la viabilisation des programmes de logements achevés en les raccordant aux différents réseaux (électricité, eau, gaz et AEP) afin de les attribuer dans les meilleurs délais possibles aux bénéficiaires.
En deuxième lieu, assurer la prochaine rentrée scolaire et universitaire dans les meilleures conditions en couvrant les équipements publics en financement nécessaire à leur achèvement.
Il convient de souligner que le secteur de l'habitat, en plus du logement, est également en charge de la réalisation des équipements, notamment ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. C’est, donc, une loi de finances complémentaire qui traitera principalement des priorités absolues devant la situation à laquelle le monde entier est confronté sur le plan économique, caractérisée par la détresse sanitaire due à la pandémie Covid-19.
Le Plan d’action du gouvernement, qui s’appuie sur les engagements de campagne d’Abdelmadjid Tebboune, vise à garantir l’accès du citoyen à un logement décent à travers le lancement d’un nouveau programme d’un million de logements, tous segments confondus, et la réception d’un million et demi d’unités à l’horizon 2024, ce qui demande des moyens financiers colossaux. Toutefois, avec les prévisions pessimistes liées à la chute du prix du baril de pétrole, estimez-vous que l’Algérie aura, d’ici là, les moyens de sa politique ?
La quasi-totalité du programme restant à réaliser au 1er janvier 2020, englobant plus de 970.000 unités, est totalement inscrite budgétairement et comprend des programmes de différentes formules, principalement la location-vente, le promotionnel aidé et l’habitat rural qui sont à différents stades de réalisation.
Quant au nouveau programme de 1.000.000 de logements, il est constitué essentiellement des segments d’habitat rural et d’auto-construction dans des lotissements sociaux (65%) et ce, dans le but de réduire la pression sur les pôles urbains et aider davantage les citoyens des Hauts-Plateaux et du Sud à disposer de logements décents.
Nous nous attelons avec le ministère des Finances sous la direction de monsieur le Premier ministre de rationaliser la programmation budgétaire sans pour autant que l’objectif quinquennal ne soit affecté. Les segments de logements à réaliser sont basés sur des montages financiers où le Trésor public intervient par une aide frontale qui sera prévue sur le plan budgétaire. C’est ainsi que malgré les prévisions pessimistes dont vous parlez, la construction des logements ne sera pas perturbée. D’ailleurs, pour cette année 2020, il est prévu l’attribution de 450.000 logements et aides tous segments confondus, dont plus de 170.000 pour le LPL (Logements sociaux) et plus de 150.000 pour la location-vente (AADL), ce qui démontre que la réalisation de logements se poursuit malgré les difficultés rencontrées sur tous les plans.
En sus des programmes de logements, des équipements publics seront livrés au cours de cette année dont, notamment, ceux relatifs aux établissements scolaires et universitaires. N’était la crise sanitaire que vit l’Algérie actuellement, plus de 70.000 logements tous segments confondus auraient été attribués à la fin du premier trimestre de cette année.
Malgré les difficultés liées à cette crise, qui aura certainement des conséquences sur les délais de livraison des projets, il est de mon devoir de saluer le formidable élan de solidarité des entreprises de réalisation qui contribuent dans la lutte contre le Covid-19 en mettant à disposition du secteur de la santé des ambulances et d’autres aides au profit des citoyens, ce qui montre la portée citoyenne de cet outil de réalisation qui a fait le bonheur de plusieurs centaines de milliers de familles algériennes.
Le président de l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) a déclaré, récemment, que le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’hydraulique (BTPH) a connu une année blanche durant 2019. Pour étayer ses dires, il a soutenu qu’entre 20.000 et 25.000 entreprises du secteur sont à l’arrêt technique. De plus, entre 150.000 et 200.000 salariés seraient actuellement au chômage technique sur 1,3 million qu’emploie le BTPH. Qu’en est-il vraiment de la situation de l’activité du BTPH présentement ?
Je ne peux pas vous confirmer les chiffres annoncés par cette association qui me semble très exagérés. Il est clair que le plan de charge des entreprises de réalisation a diminué ces deux dernières années. Néanmoins, il y a lieu de signaler que plus de 6.500 entreprises algériennes disposent d’un plan de charge avec le ministère de l’habitat, ce qui est considérable. Ce dernier est réparti entre la réalisation des logements, des équipements publics et des VRD.
Par ailleurs, il convient de souligner que pour l’année 2020, l’AADL a lancé des avis d’appels d’offre pour l’étude et la réalisation de 70.000 logements, dont 4.000 ont été placés (entreprises retenues), 8.000 font l’objet d’avis d’appels d’offre pour la réalisation et le reste est en cours de finalisation des études. Ce qui constitue une bonne opportunité pour les entreprises n’ayant pas de plan de charge, étant donné que la taille des projets reste à leur portée. Actuellement, et au vu de la situation sanitaire en Algérie due au Covid-19, des entreprises commencent à demander des ODS d’arrêt de travaux.
Une importante opération est en phase d’exécution actuellement par le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, de concert avec le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, portant sur le recensement des demandes relatives au logement au niveau national. Comment se déroule sa mise en oeuvre sur le terrain et quels sont ses délais d’achèvement ?
Cette opération, conduite par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire de concert avec mon secteur, est enclenchée pour asseoir une politique prospective permettant d’anticiper les besoins futurs de la population en termes de logements et d’équipements ainsi que les moyens matériels et financiers à programmer pour chaque exercice. Aussi, elle permettra d’évaluer le déficit en la matière au niveau de chaque commune.
Cette opération est en cours et le nombre final des demandes enregistrées sera examiné après l’assainissement opéré en introduisant le Numéro d’identification national (NIN) et la confrontation des différents fichiers des bénéficiaires et celui de la Cnas, la CNR et la Casnos pour évaluer la situation sociale des demandeurs ainsi que le revenu par ménage afin de segmenter la demande.
La ville d’Alger a été déclarée, en 2016, première capitale africaine sans bidonville après l'éradication de 30.000 logements précaires. Néanmoins, le fléau des bidonvilles en Algérie est toujours d’actualité, nonobstant les gros efforts consentis par les pouvoirs publics pour l’éradiquer. Vous avez décidé d’un nouveau recensement des habitants des bidonvilles pour contenir ce phénomène ainsi que d’un programme pour la résorption de l’habitat précaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?
Sur la base d’un recensement effectué en 2007, il a été dénombré 560.000 habitations précaires au profit desquelles un programme de 388.000 logements publics locatifs a été lancé pour permettre de reloger les familles dans des logements décents et l’octroi des aides à la réhabilitation pour les logements à maintenir, notamment dans les wilaya du Sud, en sus des différentes formules publiques auxquelles certains occupants de bidonvilles ont pu y accéder tels le LSP/LPA et la location-vente.
Ce programme a eu des résultats satisfaisants permettant d’éradiquer l’ensemble des foyers de ce fléau, principalement dans les grandes villes où plus de 45.000 familles ont été relogées depuis 2014, uniquement dans la wilaya d’Alger. Néanmoins certain sites de ce type d’habitations existent encore dans d’autres wilayas et l’éradication totale des bidonvilles requiert une évaluation exhaustive des actions déjà menées et la mise en oeuvre d’un nouveau programme destiné au relogement des ménages après un recensement précis tout en mettant en place avec les autorités locales un système de veille dissuadant toute tentative de prolifération et de récidive.
Par ailleurs, les opérations de relogement des habitants des sites d’habitat précaire et illicites se poursuivront jusqu'à l’exploitation de tout le programme qui leur est destiné. D’autres formules telles que les lotissements sociaux aidés, notamment pour les wilayas des Hauts-Plateaux et du Sud pourraient être une solution adéquate pour la frange de population qui vit dans ces habitations insalubres.
Vous avez affirmé lors de la dernière rencontre gouvernement-walis que votre ministère compte créer, dans le cadre de son plan d’action, un marché immobilier, notamment locatif, à travers l’adoption d’une nouvelle formule, dont le cadre juridique est en cours d’élaboration. A quand son application officielle et quels sont les objectifs attendus de cette nouvelle disposition ?
Outre la diversification de l’offre, cette formule doit permettre de mobiliser la contribution d’investisseurs privés et réduire de la sorte la pression sur les ressources budgétaires de l’Etat. Cette formule promotionnelle libre, dont une partie est destinée à la commercialisation et à la vente libre et l’autre à la location avec des loyers modérés sur la base d’un cahier de charges liant l’Etat aux promoteurs privés, va participer à la dynamisation de l’activité immobilière destinée à la location et sera lancée au titre de l’année 2020.
Etant donné le caractère public consacré à cette formule, elle bénéficiera des avantages de l’Etat, notamment la réduction des charges foncières (abattements sur les prix du foncier). D’ailleurs, cette disposition est matérialisée dans La loi de finances de l’année 2019. Par ailleurs, le secteur veillera à encourager les propriétaires de logements à louer leurs biens, en bénéficiant des avantages fiscaux et, a contrario, examinera l’imposition d’une taxe sur ceux qui resteront inoccupés.
Le plan d'action du gouvernement prévoit, entre autres, la création durant l’année en cours d'une banque spécialisée dédiée exclusivement au financement du secteur de l'habitat. Quelles seront les retombées de ce projet et pour les opérateurs de l’immobilier et pour le citoyen lambda ?
Ce projet a fait l’objet d’une réflexion engagée par un groupe de travail multisectoriel, présidé par le ministère des Finances et dont l’objectif est de renforcer le paysage bancaire actuel par la mise en place d’une institution spécialisée dans le financement de l’habitat afin de réduire la pression sur le Trésor public.
Cette banque sera appelée à recentrer les ressources financières en provenance de l’Etat et ceux du circuit bancaire à travers :
- La mobilisation des ressources budgétaires et non budgétaires nécessaires ;
- L’unification du bouclage des montages financiers ;
- L’injection au moment opportun des financements totaux nécessaires aux projets ;
- La fluidisation du financement, le raccourcissement des opérations financières à travers l’utilisation de ses propres guichets ;
- La mobilisation de l’épargne populaire.
Et qu’en est-il du projet des cités vertes, monsieur le ministre ?
« Les cités vertes » n’est pas un projet en soi, c’est une action continue à laquelle le secteur de l’habitat veille à généraliser. Tous les projets du secteur bénéficient de l’aménagement des espaces extérieurs à travers, notamment, l’aménagement des espaces verts. A titre d’exemple, la Ville nouvelle de Sidi Abdellah est érigée sur 7.000 ha. 3.000 ha sont urbanisables et 4.000 hectares boisés (périmètre de protection). Avec le ministère de l’Environnement, nous travaillons de concert pour atteindre notre objectif, à savoir se conformer aux normes internationales qui prévoient 10 mètres carrées d’espaces vert par habitant.
D’ailleurs, une convention cadre vient d’être signée entre les deux ministères afin de renforcer l’intégration de l’aspect environnemental, notamment dans les villes et les cités dans le but de lutter contre la pollution et le changement climatique.
D’un autre côté, le secteur s’inscrit totalement dans la démarche du secteur de l’agriculture qui a lancé le programme national de reboisement, qui vise à planter 43 millions d’arbres et qui cible aussi bien les espaces forestiers que les espaces verts dans les villes. L’adhésion et l’implication du citoyen et du mouvement associatif dans cette démarche sont très importantes.
Sachant que M. Tebboun a appelé à la transparence dans la confection des listes des bénéficiaires des logements à distribuer, en ordonnant même l’unification du Fichier national de logement, toutes formules confondues, y compris le logement rural et le promotionnel aidé, avez-vous déjà pris les mesures qui s’imposent dans ce sens ?
Pour lutter contre la fraude et consacrer le principe de transparence et de l’équité en matière d’attribution des différentes formules de logements, le secteur a toujours oeuvré à contrôler préalablement tout bénéficiaire par le biais du fichier national du logement créé en 2001, devenu opérationnel en 2012 et qui recense toutes les personnes ayant accédé aux avantages octroyés par l’Etat totalement ou partiellement via les différentes formules de logements initiés dans le milieu urbain ou rural. Néanmoins, au titre du plan d’action 2020-2024, des mesures sont inscrites pour renforcer davantage le contrôle en interconnectant les fichiers de l’état civil, des conservations foncières et tous les autres fichiers liés à celui du logement.
Et pour conclure…
Je tiens à remercier tous mes collaborateurs qui veillent à fournir encore plus d’efforts malgré toutes les difficultés rencontrées et restent mobilisés dans toutes les wilayas afin de réaliser les objectifs assignés au secteur de l’habitat.