Le 22 février 2019 restera une date gravée à jamais dans les annales de l’Algérie indépendante, du fait qu’elle a marqué le début de la fin d’un régime qui aura participé grandement au pillage des richesses du pays, le plongeant dans une situation de faiblesse sur le plan économique, social et surtout politique.
Depuis pas moins de 11 mois, la population en grande masse se rassemble pour des revendications de plusieurs natures, dont les principales tournent autour du changement du système et des symboles de ses anciens gouvernants appartenant à l'ère de l'ancien président destitué. Dans ce sillage, les revendications populaires exigent une période de transition à travers laquelle il serait question de remettre à plat la Constitution pour en confectionner une qui ferait l'objet de consensus de la part des différentes tendances du Hirak.
Ces revendications et ces manifestations massives, avec ce niveau d'exigences, interviennent à un moment où tous les paramètres se trouvent au rouge du point de vue économique, politique, sécuritaire et social : un niveau de réserves de change qui touche le fond, des prix de pétrole en deçà du minimum assurant l’équilibre budgétaire, une Loi de finance pour 2020 complètement controversée (maintien du niveau élevé de transferts sociaux, instauration ou augmentation d’impôts et taxes…), la nécessité de la diversification de l’économie, la reconversion vitale et nécessaire vers les énergies renouvelables, une situation explosive non loin de nos frontières avec la Libye avec les prémices d’affrontements armés, risquant d’embraser la région maghrébine et du Sahel…
Les enjeux face auxquels l’Algérie doit composer lui imposent d’entreprendre des mesures d’urgence afin de sauvegarder ce qui reste de positif dans ses acquis socioéconomiques et de faire éviter au pays tout entier un crash économique, dont l’Algérie ne risque pas de se relever avec les conséquences que l’on peut supposer dans ce genre de situation. Mais cependant, comment procéder à cette composition face à un mouvement populaire qui ne reconnaît aucune action ni de l’actuel Président ni de l’actuel gouvernement ?
Le risque est que les mesures non reconnues risquent de faire l’objet d’une désobéissance qui paralyserait toute initiative, quand bien même elle est bénéfique. Une voie presque sans issue et une communication à sens unique fermant toute initiative au dialogue.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur sur les uns et les autres, mais bien de mettre des faits dans un contexte précis :
- une population exigeante se donnant parfaitement le droit de revendiquer des droits et qui a sa propre vision des solutions pour faire sortir le pays de sa crise multidimensionnelle ;
- un système gouvernant en recherche d’élargir sa légitimité via un dialogue avec le Hirak et qui priorise des solutions dans le cadre constitutionnel actuel ;
- une situation économique et géopolitique plus que sensible du fait des paramètres cités plus haut.
Quelle issue pour mettre fin à une telle situation ?
Sans évoquer les conditions difficiles dans lesquelles a été gérée la situation en Algérie pendant les 11 mois qui ont précédé l’élection présidentielle, sur le plan politique et économique, il y a lieu de tenir compte du fait que le pays est incapable de subir le même niveau de pression à court ou moyen termes.
Si un pays organisé comme la Tunisie souffre encore des résultats de sa tentative de reconstituer son système politique grâce à une Constitution consensuelle qui a tardé à voir enfin le jour, il y a fort à parier que la situation de désorganisation qui prime en Algérie, et il faut le reconnaître, risque de durer plus d’une décennie, du fait des tendances hétérogènes des différentes revendications politiques que tout le monde estime, à tort ou à raison, qu’elles sont des préalables pour la construction d’une véritable économie.
Mais est-ce pour autant vrai ? Si la situation économique est le résultat direct des choix politiques, au vu de la prééminence du politique sur tous les autres domaines en Algérie, avec comme condiment la prééminence d’une classe politique (des deux pouvoirs : législatif et exécutif) pleinement inscrite dans la médiocrité, l’allégeance et la corruption, n’y aurait-il pas une voie intermédiaire pour débuter la mise sur les rails de l’économie du pays ?
Est-ce qu’un système gouvernemental ayant les caractéristiques promises par le président de la République lors de la campagne électorale, pour peu que les promesses soient entièrement tenues, ne serait pas une voie qu’il serait intéressant d’exploiter ? C’est-à-dire un gouvernement technocrate avec un élargissement des prérogatives et des pouvoirs, d’une part, et la séparation entre la politique et l’argent, d’autre part.
Peut-être ! Mais deux conditions préalables, au moins, sont à satisfaire pour pouvoir commencer à exploiter cette piste :
- Un très haut niveau de compétence dans chaque secteur avec une expérience avérée, en complète rupture d’appartenance à l’ancien régime du temps du président déchu.
- De réelles mesures de grande envergure pour la grande entreprise qu’est la restructuration du socle économique.
Outre le temps court de mise en oeuvre des décisions y afférentes, le paramètre qui renforce la plausibilité de la thèse est qu’il est possible d’agir sans recourir à de profonds changements ou de réformes fondamentales du point de vue constitutionnel et politique, bien au contraire. La bonne gouvernance fait appel surtout à une bonne vision stratégique et une méthodologie de mise en application.
Afin de recadrer ces idées, il y a lieu de préciser, de rappeler et de prendre en compte que ce n’est pas la nature et la complexité de la réalisation des revendications populaires qui renforcent le penchant vers cette tendance, mais bien le contexte délicat qui force à la prise de décisions rapide qui ne peut se faire dans l’état actuel des choses. Si les conditions économiques s’y prêtaient, le temps n’aurait pas posé de problème jusqu’à la mise en place de solutions consensuelles.